Edito du 33ème dimanche du Temps Ordinaire

Dans la parabole de ce dimanche, il y a un maître qui a l’air généreux, surtout quand il confie ses biens aux premiers de la classe. Il y a aussi deux chics types, qui ont bien rendu leur service en rapportant à leur maître le double de l’argent confié. Ils ont les Félicitations. Quant au troisième, non seulement on le blâme, mais on le dépouille, alors qu’il n’a rien volé ! Le maître avait-il donné des consignes avant de partir ? Même pas ! Il a fait le peu qu’il pouvait, avec le peu de consignes qu’on lui a données. Il a simplement rendu ce qu’on lui avait confié. Ni plus ni moins. Il pensait être quitte.

Dieu est-il comme le maître de la parabole, injuste et cruel, jusqu’à s’acharner sur celui qui, moins doté, n’a pas jugé bon de prendre trop de risques ? Non. Le maître, dans cette parabole, n’est pas une icône du Père céleste. En revanche, le sort du troisième pourrait être notre sort si nous n’écoutons pas et si nous ne changeons pas. Jésus veut mettre à découvert nos excuses cultivées et nos timidités stratégiques dès qu’il s’agit de servir le Royaume. Le prix n’est pas petit : entrer dans la joie du maître. Mais on y entre, dans la joie du maître, ni par hasard, ni en traînant les pieds. On y entre volontairement, en courant, avec audace, avec fierté, tout d’un coup, et tout entier, comme la Vierge, à l’aube de sa vie, ou le larron, à la dernière minute, en disant oui et en essayant toujours d’être un peu plus ardent à faire le bien.

Aucun alibi, au jour du Seigneur, ne saurait dédouaner quiconque. Jésus est clair ici en envisageant la pire des situations : même s’il était vrai que Dieu, comme le maître de la parabole, s’absentait de ce monde, même s’il ne donnait pas d’instructions particulières, même s’il nous désavantageait en distribuant ses dons, même s’il avait l’habitude de prendre ce qui n’est pas à lui, là même, nous serions tenus d’être suffisamment intelligent pour s’emparer du peu qu’on a, du peu que l’on est, du peu que l’on peut faire en ce monde, et se jeter dans la bataille pour le faire fructifier. Pas d’excuses.

Un temps précieux s’écoule, et on tergiverse, on tempère, on donne d’une main et on reprend de l’autre, on remet à demain, on s’engage mollement, on prie distraitement, on fait passer toutes sortes de choses avant Dieu et son Royaume.

Jésus, lui, est tout le contraire de ce maître étrange, ou presque. Il ne part pas en voyage, lui qui est tous les jours avec nous (Mt 28,20). Il ne nous a pas laissés sans consignes (Jn 15,34). Il a répandu sur nous le Saint Esprit qui « distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier » (1Co 12,11). Il donne à celui qui n’a pas, il ne résiste pas à celui qui l’implore, lui qui « de riche qu’il était, s’est fait pauvre pour nous enrichir par sa pauvreté » (2Co 8,9) ? Jésus est tout le contraire de ce maître étrange, il est la miséricorde même… et pourtant, il y aura un jugement, il y aura une rétribution, et on fera bien de s’y préparer avec un peu plus de détermination et d’énergie, nous prévient-il. Il y a certains coups de poker qu’on est sûr de rater…

Don Guillaume Chevalier, +vicaire