Une petite anecdote personnelle pour cet édito : l’histoire se passe il y a trois ou quatre ans pendant ma retraite annuelle, en février dans un monastère haut-savoyard. Etant parti marcher en montagne tout l’après-midi, et ayant eu comme souvent les yeux un peu plus gros que le ventre, je me retrouve le soir, la nuit tombant, encore assez loin du monastère en haut de sa montagne, et la gourde vide depuis quelques heures déjà. Ceux qui ont déjà eu vraiment soif sauront que cette sensation devient envahissante et que l’eau devient le bien le plus précieux.
En arrivant près d’un hameau au pied de la montée finale (avec encore quelques centaines de mètre de dénivelé), une des phrases de l’évangile de ce dimanche me tourne en tête depuis déjà de longues minutes : » Celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense. » Passant devant une maison allumée, je m’apprête à demander de l’eau, quand le propriétaire me lance, avant même que je me sois arrêté ou que j’ai ouvert la bouche : « Est-ce que vous voulez un verre d’eau ? » Une discussion s’ensuit, lors de laquelle cet homme me dit avoir remarqué mon col romain, sans lui-même être franchement catholique déclaré. Pour couronner le tout, il me propose enfin de me déposer en voiture, m’épargnant ainsi une heure et demie de montée dans la nuit et le froid de l’hiver savoyard.
Cette histoire n’a en elle-même pas grand intérêt, sinon de voir un épisode où j’ai vécu quasiment à la lettre un épisode de l’évangile, précisément au moment où j’en avais besoin, comme une délicatesse de Dieu réalisant pour moi cette phrase que j’avais en tête. Plus profondément, si cet homme a montré par son action sa générosité toute simple à laquelle le Christ promet une récompense, je ne peux m’empêcher de penser que pour cet homme, reconnaître – confusément – un prêtre a également joué. Il n’a pas simplement donné un verre d’eau : il l’a fait au nom de mon appartenance au Christ, et a même fait bien plus que d’étancher ma soif. Ce fut aussi l’occasion pour lui d’ouvrir son coeur, de parler de ses épreuves à quelqu’un qui pouvait l’écouter ; ce fut une première récompense, et je ne doute pas que Dieu le récompensera largement au dernier jour pour ce geste de bonté probablement déjà oublié.
C’est une leçon pour moi également : combien d’âmes ouvertes à la grâce et à l’action de Dieu se cachent derrière des apparences banales voire indignes ? Combien de personnes sont bien plus que moi disciples du Christ sans même l’imaginer, en obéissant à leur conscience et en recherchant sincèrement le vrai bien ? Est-ce que mon coeur et mon regard sont vraiment transformés par le regard de Dieu, ou sont-ils encore trop dépendants des apparences ?
Don François Doussau + prêtre