Edito du 6ème dimanche du Temps Ordinaire

Une loi pour le cœur

Jésus est-il bien raisonnable ? On aurait envie de corriger la fin de sa phrase : « je ne suis pas venu abolir la Loi mais… l’alourdir, la rendre impraticable… ». Tant ce qu’il demande semble bien plus dur qu’avant. Il commence par exiger une justice qui dépasse « celle des scribes et des pharisiens… ». Et les exemples qu’il donne sont à vous décourager, parce qu’on dirait qu’il ne tolère même pas ces défauts si répandus de la vie courante, dont « on ne peut pas s’empêcher », avoir du caractère et s’énerver, mettre du temps avant de ne plus en vouloir à celui qui nous a énervé, ou encore trouver une bonne excuse pour ne pas faire une chose qu’on nous demande avec sans-gêne, ou bien répondre non à une invitation de trop : « Que votre parole soit ‘oui’, si c’est ‘oui’, ‘non’, si c’est ‘non’. Ce qui est en plus vient du Mauvais. » …« Mets-toi vite d’accord avec ton adversaire… » Et même : « Tout homme qui se met en colère contre son frère devra passer en jugement. »

La colère, la rancune, les phrases « de politesse » pas toujours franches, nous paraissent pas très glorieuses certes, mais elles font partie de notre faiblesse, alors s’il faut s’en débarrasser pour entrer au Royaume des Cieux… ! Jésus qui est miséricorde doit bien pouvoir les tolérer… Et pourquoi pas aussi ces « péchés paroissiaux », ces mauvaises habitudes parfois de nos assemblées où tout le monde ne parle pas à tout le monde et où quelques rancœurs peuvent traîner…

En fait, Jésus nous aime trop pour nous autoriser à tolérer des incohérences qui s’installent dans notre cœur. Sans nous culpabiliser Il nous aide à aller à l’intérieur, au fond des choses. Jean-Paul II explique dans La Splendeur de la Vérité, en disant que « Jésus porte à leur accomplissement les commandements de Dieu, en particulier le commandement de l’amour du prochain, en intériorisant et en radicalisant ses exigences ; l’amour du prochain jaillit d’un cœur qui aime, et qui, précisément parce qu’il aime, est disposé à en vivre les exigences les plus hautes. Jésus montre que les commandements ne doivent pas être entendus comme une limite minimale à ne pas dépasser, mais plutôt comme une route ouverte pour un cheminement moral et spirituel vers la perfection. »

Il ne nous demande pas d’être des impeccables, toujours convenables et « propres sur eux » dans l’attitude extérieure. Mais il nous conduit vers l’intérieur, et nous demande d’être des cœurs toujours à la recherche d’un amour plus large, plus profond, plus généreux. Chercher à être parfaits dans l’ordre de l’amour, c’est ne jamais nous sentir arrivés à un point « satisfaisant ». Voilà la « loi nouvelle » du Christ, formulée ainsi par saint Paul : « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. » (Rm 5,5). C’est Dieu qui a l’initiative et qui fait le gros du travail, et il faut que cet amour transformant produise son effet, grandisse sans que nous y mettions des limites. Jésus seul peut nous donner une telle Loi parce que, poursuit S. Jean-Paul II, Il « devient lui-même la Loi vivante personnifiée, qui invite à sa suite, qui, par son Esprit, donne la grâce de partager sa vie et son amour même, et qui donne la force nécessaire pour en témoigner par les choix et par les actes. » Cette force est disponible pour chacun de nous, si nous avons le courage de la demander !

 

Don Enguerrand, † vicaire