30e dimanche du temps ordinaire

« Heureux les pauvres ? »

Les textes de ce dimanche nous invitent à réfléchir sur la notion de pauvreté. Ce thème traverse la Bible de part en part jusqu’à culminer dans le message des Béatitudes laissé en héritage à son Église par le Christ : « Heureux, vous les pauvres car le royaume de Dieu est à vous » (Luc 6,20 ; Mt 5,3).
Néanmoins, le terme « pauvreté » est hétérodoxe et peut être mal compris. A quoi nous invite le Christ, lorsqu’il bénit les pauvres ? De quelle pauvreté s’agit-il ? Suis-je visé si je suis riche de biens matériels ?

La pauvreté n’est pas d’abord une affaire de compte en banque. Madeleine Delbrel l’exprimait avec un certain humour : « Être pauvre, ce n’est pas intéressant ; tous les pauvres sont bien de cet avis. Ce qui est intéressant, c’est de posséder le Royaume des Cieux, mais seuls les pauvres le possèdent. Aussi ne pensez pas que notre joie soit de passer nos jours à vider nos mains, nos têtes, nos cœurs. Notre joie est de passer nos jours à creuser la place dans nos mains, nos têtes, nos cœurs, pour le Royaume des Cieux qui passe. »

La pauvreté est donc un bien, non dans la mesure où elle nous fait souffrir du manque, mais parce qu’elle permet de creuser cette place dans nos mains, nos têtes et nos cœurs. C’est souvent d’elle que jaillit la prière. Ben Sira l’exprime de manière si belle dans la première lecture : « La prière du pauvre traverse les nuées ». En commentant ce passage, Marie-Noelle Thabut souligne quatre situations types de pauvreté énumérées dans la société de l’Ancien Testament : l’opprimé, l’orphelin, la veuve et celui qui manque de moyens financiers. Ce sont ces quatre catégories de personnes défavorisées que la loi protège : aujourd’hui, on dirait que ce sont les situations types de précarité. Il n’empêche que, même si la loi protège les plus faibles (la loi est toujours faite pour cela !), notre regard n’est pas toujours très favorable envers les personnes en situation de précarité ; spontanément, nous sommes souvent plus attirés par les personnes mieux établies socialement.

Ben Sira nous dit : « vous, c’est plus fort que vous, vous jugez souvent sur la mine. Dieu, lui, ne fait pas de différence entre les hommes ; ce qu’il regarde, c’est le cœur : Celui dont le service est agréable à Dieu sera bien accueilli, et sa supplication parviendra jusqu’au ciel. » Ben Sira ne dit pas pour autant que Dieu « préfère » les pauvres ! L’amour parfait n’a pas de préférence ! Mais il est vrai que c’est peut -être dans nos jours de pauvreté que nous sommes les mieux placés pour prier ! Ou pour le dire autrement, que nos dispositions sont les meilleures : « La prière du pauvre atteint les nuées ; tant qu’elle n’a pas atteint son but, il demeure inconsolable. » Il faut certainement entendre le mot « inconsolable » au sens fort. Une autre traduction dit d’ailleurs « La prière de l’humble traverse les nues et elle ne se repose pas tant qu’elle n’a pas atteint son but » ; une prière qui ne se repose pas : nous retrouvons ici l’insistance des textes de la semaine dernière quand Jésus donnait une veuve en exemple à ses apôtres : on se souvient de cette veuve obstinée de l’évangile qui poursuivait le juge pour obtenir son dû.
Quand on est vraiment dans une situation de pauvreté, de besoin, quand on n’a plus d’autre recours que la prière, alors vraiment, on prie de tout son cœur, on est réellement complètement tendu vers Dieu ; et alors notre cœur s’ouvre et enfin Dieu peut y entrer. Car le mot « prière » et le mot « précarité » sont de la même famille. C’est peut-être la clé de la prière : on ne prie vraiment que quand on a pris conscience de sa pauvreté, de sa précarité.

Don Louis-Marie +