Le bon sens paysan
« On ne fait pas pousser de l’herbe en tirant dessus ». Ce dicton, tirée de la sagesse populaire – digne d’un sage paysan, buriné par une vie de labeur dans les champs – pourrait presque être la conclusion de deux paraboles de ce dimanche. Pour parler de la grâce, Jésus aime utiliser des images agricoles, significatives pour son auditoire. Que ce soit une semence de blé, une graine de moutarde ou une grâce semée dans un cœur, leur croissance se fait dans le temps et est tributaire d’un principe de développement qui ne dépend pas directement du semeur, comme une force secrète qui les amène progressivement à leur parfait achèvement. Qu’est-ce que cela implique pour notre vie chrétienne ?
Un appel à la patience. Ce que Dieu sème dans un cœur (une parole, une consolation, un désir, …), le temps le rend progressivement fécond. Cette réalité, vérifiable par l’expérience, sollicite notre patience. Le chrétien n’est pas fait pour l’ennui, mais pour la patience, rappelle le Saint-Père (10 oct. 2017). Il sait que même dans la monotonie de certaines journées qui sont identiques les unes aux autres, se cache un mystère de grâce. Est donc patient celui qui accepte de rentrer dans une logique temporelle différente de la sienne. Sans ce consentement secret au temps de Dieu, nous aurons toujours des motifs d’agacements : ma difficulté à me convertir, mon frère qui n’a pas les mêmes idées que moi, mon voisin qui me contrarie dans mes plans, l’ennui dans ma prière personnelle, … même la météo peut devenir un sujet d’irritation !
La patience n’est pas une complaisance passive dans tout ce qui m’arrive. Au contraire, elle correspond à une adhésion amoureuse, volontaire et ferme au projet de Dieu, nourrie par un désir souvent renouvelé d’être un saint selon son cœur. Comme toute vertu, elle s’obtient en posant des actes répétés : ne pas murmurer lorsqu’on m’accuse à tort alors que j’ai fait du mieux possible, reprendre une résolution oubliée depuis longtemps, rendre grâce au milieu d’une difficulté … en s’habituant ainsi à être patient, nous le devenons vraiment et nous nous préparons à un poids de gloire incomparable (2 Co 4, 17).
Un encouragement à mieux recevoir. Avant de donner un épi ou un arbre capable de porter les oiseaux du ciel, la semence reçoit de la nature. Il est en de même pour nous dans notre vie spirituelle. Si, selon les mots de Saint Paul, il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir (Ac 20, 35), il nous faut cependant d’abord apprendre à recevoir, avant de donner. On ne peut pas expirer de l’air sans avoir d’avoir inspiré pour en remplir nos poumons.
Cet apprentissage peut se faire notamment au moment du coucher, le soir. Je m’applaudis, dit Dieu, d’avoir créé la nuit imagine Charles Péguy dans Le Porche de la deuxième vertu. Le repos de la nuit, quand il est possible, est aussi une manière de rendre gloire à Dieu en s’abandonnant à lui et en lui redisant sa primauté. Se coucher de bonne heure nous apprend à laisser des choses en suspens, à accepter nos limites, …et ultimement nous apprend à mourir. Pour le dire autrement, le sommeil nous apprend à réaliser que nous ne sommes pas Dieu et que nous avons d’abord à recevoir de lui.
Il n’est finalement pas étonnant de retrouver dans la nature une sagesse divine puisqu’il en est lui-même le créateur ! Gardons à l’esprit cette semaine l’image simple et consolante de la semence qui grandit, nuit et jour, quoique que le semeur fasse, et renouvelons notre confiance en Dieu. Le Royaume de Dieu requiert notre collaboration, explique le Pape François, mais il est surtout initiative et don du Seigneur. Si notre œuvre faible, apparemment petite face à la complexité des problèmes du monde, s’insère dans celle de Dieu, elle ne craint pas les difficultés (audience du 14 juin 2015). N’oublions jamais que nous sommes dans la main du Très-Haut !
Don Antoine Storez +, vicaire