La prière du « Notre Père »
« Les fidèles ne seront plus soumis à la tentation », ont titré plusieurs journaux récemment, au sujet de la nouvelle traduction du Notre Père.
A partir du 1er dimanche de l’Avent, le 3 décembre, la 6ème demande du Notre Père sera formulée ainsi dans le monde francophone : « et ne nous laisse pas entrer en tentation ». Cela va nous demander un peu de gymnastique mentale… ! Et il faudra adapter les mélodies sur lesquelles nous le chantons.
Rappelons-nous que la version française que nous connaissons a été récitée pour la première fois à la vigile pascale de l’année 1966, et que plusieurs versions françaises du Notre Père coexistaient jusque-là. Le difficile travail des traducteurs, spécialement pour ce texte qui est la « prière des prières », la « prière parfaite », avait conclu un vif débat avec cette traduction manifestement insuffisante. A l’heure où la traduction de la Bible pour la liturgie vient d’être revisitée et promulguée, où une nouvelle traduction des prières du Missel romain se prépare (depuis longtemps), c’est le Notre Père qui nous est d’abord donné dans une version nouvelle.
Cette nouvelle traduction se rapproche et de la lettre et de l’esprit du texte grec du Notre Père que nous trouvons dans l’évangile selon saint Matthieu au chapitre 6. Pour la lettre, Jésus enseigne : « ne nous conduis pas dans la tentation ». L’idée « d’entrer à l’intérieur » de la tentation appartient bien à l’enseignement du Seigneur, un peu comme dans une flaque d’huile dans laquelle il ne faut pas commencer à rouler si on ne veut pas perdre la direction du véhicule ; d’un pot de colle sur lequel l’oiseau doit redouter de se poser pour ne pas y rester englué ; ou d’une pièce obscure dans laquelle, à peine entrés, nous ne verrions plus rien. Nous demandons à Dieu de pouvoir nous tenir à l’extérieur, et à distance, des pensées tentatrices du démon, car nous savons que si nous nous en approchons trop, nous en serions bientôt captifs.
Pour l’esprit, il y a un problème de théologie en même temps que de traduction : littéralement, le texte dit bien : ne nous conduis pas… Mais cela veut-il dire que Dieu pourrait nous y conduire, avec une mauvaise intention ? Sûrement pas ! Dieu ne nous tente pas lui-même et ne contraint pas notre liberté. Nous restons toujours libres devant la tentation. Le démon, écrit sainte Catherine de Sienne, est ainsi « facile à vaincre », car « il a perdu la puissance qu’il avait sur nous, et, grâce au sang du Fils de Dieu, il peut nous attaquer et nous troubler par des pensées mauvaises, mais il ne peut nous forcer à la moindre faute, parce que le sang de l’Agneau sans tache nous a fortifiés et délivrés de la servitude » (Lettre 272).
« Ne nous laisse pas entrer en tentation » est donc bien meilleur pour le sens que de dire « ne nous soumets pas » – comme si Dieu « imposait » la tentation. Car Dieu ne cause pas la tentation ; la vie nous soumet, elle, à bien des épreuves, et dans sa Providence, Dieu s’en sert pour nous former dans le Christ. Mais la tentation vient de l’extérieur, du démon, et n’a prise sur nous que dans la mesure de notre faiblesse.
Plus radicale encore, la 7ème demande, que nous soyons « délivrés du mal », ou même « du Mauvais »… Mais cette dernière demande, nous le savons, ne sera pleinement exaucée qu’au jour du retour du Seigneur, lorsque sa royauté universelle sera pleinement manifestée. Viens Seigneur Jésus !
Bonne fête du Christ Roi à tous, qui « nous a libérés pour que nous soyons vraiment libres » ! (Ga 5,1).
Don Guillaume Chevallier +, vicaire